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Etre avec


Ma solitude au milieu de ces gens qui m'aiment. Mon incapacité à m'ouvrir, comme si un mur s'était érigé entre eux et moi. Cette irrémédiable frontière entre eux et moi créant une irréductible distance . Voilà ce qu'il me reste de ces derniers et récents moments passés en famille.

C'est cachée derrière un regard baissé que mon corps veut bien attribuer à ma constante fatigue, et un sourire difficile qui se cache derrière une mine lessivée que me proches m'ont découverte. J'ai eu du mal à briser la glace, et même lorsqu'avec fierté je suis parvenue à le faire, je n'ai pu m'empêcher de chercher à m'extraire au plus vite de cette situation presque dangereuse pour moi. Comme si j'étais à vif et et que je craignais une agression. Mais quelle agression ? Pourquoi redouter cette présence pourtant des plus aimante ? Pourquoi aujourd'hui encore, c'est au coeur des miens, de ceux qui partagent mon sang même, que je me sens la plus vulnérable et ainsi la plus inapprochable version de moi-même ?

Les liens que l'on possède avec sa famille sont des liens si forts et en même temps si douloureux que nous ne pouvons nous empêcher d'entretenir avec elle une relation de la forme : "je t'aime, moi non plus". Ce lien si particulier est probablement dû au simple fait que nous aimons si fort ses parents que nous ne pouvons concevoir qu'ils nous causent la moindre blessure. Le conflit est aussi très mal vécu. D'ailleurs la plupart des gens qui entrent en conflit avec un de leurs proches font un choix qui peut sembler radical, mais qui en fait n'est qu'un moyen de se protéger : "couper les ponts". On ne peut accepter ce conflit alors on préfère s'en détourner. La douleur est aussi forte que l'amour que l'on éprouve pour son parent. Elle est peut-être même plus intense. Car si l'amour au sein d'une famille semble inée, la haine elle au contraire est un choix volontaire et délibéré qui met en jeu la Personne elle-même et non plus sa simple filiation.

Pour ma part, la distinction entre la haine et l'amour n'a pas de nuance. Il y a l'amour, il y a la haine. Il n'y a aucune autre nuance entre les deux qui justifierait un comportement légèrement en décalage avec ce que l'on attend d'un être aimé. Ainsi, la moindre remarque, le moindre geste, la moindre incartade qui pourrait me laisser soupçonner un manque d'amour de l'un de mes proches se transforme pour moi comme une preuve de désamour. C'est cette crainte du désamour qui doit être au centre de la problématique de la frontière avec l'Autre en famille. Une frontière que j'ai pourtant déjà expérimenté auprès de l'Autre-l'ami ou le simple compagnon. Mais alors : que se passe-t-il ? Pourquoi ne puis-je pas moi aussi goûter au bonheur de la spontanéité d'une relation qu'elle soit amicale, amoureuse ou filiale ? Pourquoi ne pourrai-je pas moi non plus ne plus craindre la parole, le geste, l'intention d'autrui ? Je me suis posée et me pose sans cesse la question de ce mur.

"Les gens que j'aime (...) savent que j'ai beaucoup d'amour à leur donner. Ils savent aussi que je ne sais parfois pas comment le faire"

L'anorexie vous enferme derrière un mur. En vous privant des nourritures familiales, elle vous prive du contact simple et direct que les gens partagent entre eux. Elle vous isole dans une routine, un état presque léthargique qui vous place en position de défense permanente, à l'affût du moindre danger. Et qu'est-ce qu'un danger pour une anorexique me direz-vous ? Et bien il s'agit d'une odeur, d'un goût, d'une parole, d'un geste qui heurterait votre corps ou votre esprit. Vous souhaitez le garder pur mais vous souffrez de cet isolement "de sécurité".

Aujourd'hui, je sais que si je veux continuer d'avancer, je dois cesser de me lamenter sur ce fait. Cela fait 7 ans déjà que je vis avec ce quotidien. 7 ans de distance, mais 7 ans de vie, d'une vie, de ma vie. Il ne s'agit plus de vouloir "redevenir normale". Il s'agit de comprendre cela et de l'accepter. C'est ce que je décide courageusement de faire aujourd'hui. Je suis ainsi. C'est ainsi qu'on m'aime. Forte, courageuse, battante aussi. Distante mais unique. Les gens que j'aime le savent. Ils savent que j'ai beaucoup d'amour à leur donner. Ils savent aussi que je ne sais parfois pas comment le faire. Mais lorsque je lis cette reconnaissance si belle et si brillante dans leurs yeux, alors oui. Oui je sais alors que j'y suis parvenue. Je sais que d'une certaine manière je suis parvenue à traverser ce mur de pierre. Je sais qu'ils ont compris. Ils le savent car ils me connaissent et c'est ainsi qu'ils m'aiment. "Fanny, 19 ans, anorexique" : c'est ainsi que je voulais que mes parents m'appellent lors de ma seconde hospitalisation.

Aujourd'hui je suis loin de tout ça mais une chose est certaine, si à cette époque j'ai tenu à ce que mes parents me voient ainsi, c'est car j'avais besoin d'être certaine d'une chose : qu'ils m'aimaient comme j'étais à ce moment là, avec mes difficultés certaines. Je ne voulais pas qu'ils abandonnent une part de moi qui avait besoin d'eux à ce moment là. Il en est toujours ainsi aujourd'hui mais cette fois-ci je ne suis plus "deux", je suis Fanny, j'ai seulement vécu, et on efface pas son vécu : on apprend simplement à Etre avec.


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